Jean Morin, l'un des témoins de l'audience du jour. (Crédit Daniel)
L'ancien directeur du personnel au Ministère de l'Intérieur a convenu qu'à la libération, Maurice Papon a été le seul haut fonctionnaire maintenu, et même promu, sur place
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Lundi 2 mars. Soixante dix-septième journée d'audience. Me Varaut et Me Boulanger, pressés par la proche fin des débats, déposent de nouvelles pièces au dossier.
Mais l'intervention la plus inattendue vient de l'avocat général Marc Robert. Il a lu dans la presse que le magistrat allemand Rolf Holfort qui avait brutalement quitté Bordeaux, il y a deux semaines, après avoir reçu une lettre anonyme à son hôtel, refusant ainsi de témoigner devant la cour d'assises, est " prêt à revenir si sa sécurité est assuré ". Me Varaut exprime les " réserves les plus nettes à l'égard de ce retour éventuel ". Maurice Papon est plus virulent : " Je ne peux pas m'empêcher d'élever une protestation de principe contre l'audition d'un Allemand qui appartient à une nation qui a fait ce qu'elle a fait, et qui se mêlerait aujourd'hui d'un procès français. Je vous avoue M. Le président que cette audition ne sera pas sans conséquence en ce qui me concerne ".
En vertu de son pouvoir discrétionnaire, le président décide d'entendre ce témoin mercredi.
Sur les cinq témoins que la cour a prévu d'entendre ce jour, deux seulement sont présents. Le préfet Gabriel Delaunay, président du comité de libération de la Gironde fin 1944, et Paul Paillole, ont adressé un certificat médical.
Pierre Bloch, ancien responsable du BCRA et président d'honneur de la Licra est retenu à Paris par une bronchite infectieuse. Il a adressé un courrier à la cour pour demander à être entendu d'ici la fin de la semaine. Seul survivant du jury d'honneur réuni en 1981, Pierre Bloch indique dans ce courrier que le dossier de Maurice Papon était alors incomplet et que " si Maurice Papon a rendu des services à la résistance, il n'a jamais été mandaté par elle ". " Il a dit exactement le contraire au jury d'honneur qui s'est prononcé à l'unanimité " remarque Maurice Papon qui souhaite un prompt rétablissement à Pierre Bloch tout en ajoutant : " Nous nous sommes bien connus, bien estimés, j'espère que ses sentiments demeurent ". Pierre Bloch pourrait venir jeudi.
Pierre Somveille, 76 ans, préfet en retraite, est entré comme rédacteur à la préfecture de Bordeaux le 1er mai 1944. Ce Charentais se souvient que ses collègues lui ont tout de suite proposé de faire partie du groupe de la Préfecture prêt à participer à la libération de Bordeaux : " J'ai accepté lorsqu'ils m'ont dit : Tu ne risques absolument rien, Maurice Papon est dans la résistance ". Il se souvient également que le jour de la libération, le 28 août 1944, Maurice Papon a passé les fonctionnaires en revue aux côtés d'un colonel de l'armée française : " J'en ai conclu que les camarades avaient dit vrai, que Maurice Papon était en contact avec la résistance ".
Fonctionnaire discret et homme avisé, Pierre Somveille assure n'avoir entendu " aucune critique contre Maurice papon sur son action pendant l'Occupation ", et affirme n'avoir jamais discuté de cette époque avec celui dont il est resté l'un des plus proches collaborateurs pendant 22 ans.
Jean Morin, 82 ans, ancien magistrat de la Cour des Comptes, a rencontré Gaston Cusin en 1940 et préside aujourd'hui l'association " Résistance, vérité, souvenir " créée en 1983 par Maurice Bourges-Maunoury pour aider Maurice Papon. Il a d'ailleurs pour mission de parler au nom de ces deux anciens commissaires de la République de Bordeaux à la Libération : " Avant leur mort, ils m'ont tous les deux demandé de venir dire que Maurice Papon n'a rien à se reprocher ".
A la Libération, Jean Morin était surtout directeur du personnel au Ministère de l'Intérieur et visait les avis de la commission d'épuration avant de les transmettre au ministre. Il a ainsi " personnellement " examiné le rapport adressé par le nouveau commissaire de la République de Bordeaux, Gaston Cusin, pour la nomination-promotion de Maurice Papon comme directeur de cabinet.
" Ce texte a été étudié de très près. Nous étions d'accord avec les propositions de Cusin " affirme Jean Morin qui évoque la personnalité de cet " homme remarquable, d'une grande rigueur et d'une haute conscience morale, d'une très grande loyauté et franchise ".
Jean Morin assure pourtant qu'à l'époque, tous les préfets ont été suspendus : " 60 ont été révoqués, 100 ont été mis à la retraite d'office et 30 nominations ont été annulées. Même les 7 ou 8 qui rentraient de déportation sont passés en commission d'épuration et deux n'ont pas été rétablis dans leur poste ". Il convient ainsi que la nomination de Maurice Papon était " exceptionnelle " : " Il est le seul à avoir eu une promotion sur place ". Il justifie aussitôt cette position : " Il n'y a eu aucune plainte contre Maurice Papon, au retour des déportés juifs ".
Cette nomination a provoqué des remous au sein du comité départementale de libération. Mais Jean Morin admet qu'il n'était pas envisageable pour la commission d'épuration de remettre en cause le décret de nomination de Maurice Papon, signé un mois plus tôt par le général de Gaulle. Il évoque aussi, même discrètement, les désaccords au sein du jury d'honneur qui " portaient essentiellement sur la démission de Maurice Papon ".
Jean Morin qui dépose depuis plus de trois heures, conclut : " Papon est résistant, Papon est innocent ".
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