Maurice Papon à sa descente du TGV en gare Saint Jean. (Crédit A.F.P)
En fin d'audience, Maurice Papon a regretté de n'en avoir pas fait plus pour sauver les enfants déportés le 26 août 1942.
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Lundi 5 janvier 1998. Quarantième journée d'audience. Maurice Papon a retrouvé sa place dans le box des accusés comme s'il en était parti la veille. Après une semaine et demi d'interruption, le procès a cependant du mal à redémarrer.
Me Arno Klarsfeld est le premier à prendre la parole. Il indique notamment au président Castagnède que sur les 81 enfants déportés à Drancy dans le convoi du 26 août 1942, deux frères arrêtés dans les Landes, David et Sylvain, ont été libérés à Drancy et sont toujours en vie. Ils pourraient témoigner aujourd'hui ou demain devant la cour d'assises.
Le bâtonnier Rouxel dépose alors l'Edit de Nantes et Me Varaut, le livre de Maurice Rajsfus sur le camp de Drancy. Il informe aussi la cour du décès de M. Guy Saint-Hilaire, 91 ans, médaillé de la Résistance et témoin de la défense.
Le président s'impatiente : " Je voudrais qu'on arrive au fond du débat ". Le procureur général Henri Desclaux se lève et interroge alors l'accusé sur le convoi du 26 août 1942 (le deuxième des huit reprochés à l'accusé), qui a déporté 444 juifs dont 186 français et 81 enfants de Bordeaux à Drancy.
Maurice Papon, qui semble avoir retrouvé une certaine énergie physique, se montre de nouveau combatif. Ses répliques sont vives, parfois moqueuses. Il se laisse même aller à des libertés de langage auxquelles il n'avait pas habitué la cour.
Lorsque le procureur général s'étonne du " ton optimiste " d'une note de Maurice Papon fin juillet 1942 où il assurait à Jean Chapel qu'il n'y aurait pas d'autre déportation, l'accusé lance : " Nous avons été roulés, trompés par les Allemands. Tous les rapports avec les Allemands étaient entachés de l'hypocrisie propre à la race germanique. A partir de là, la parole allemande, ça valait zéro ". Mouvement d'indignation dans la salle d'audience.
Lorsque le procureur général fait le compte des documents qui figurent au dossier et relève que 6 notes sont signées par Maurice Papon, deux par Pierre Garat (chef du service des questions juives de la préfecture), une par Jean Chapel (directeur de cabinet du préfet) et une autre par Maurice Sabatier (préfet régional), Maurice Papon, toujours debout, s'énerve : " Vous vous livrez à des opérations statistiques. Pourquoi trouvez-vous les miennes ? Parce que dans les archives, on a cherché les documents signés Papon et on a négligé les autres. Le débat est faussé. Les documents capitaux de ce convoi comme des autres, c'est l'Intendant de police qui les a ".
" C'est trop facile " remarque le procureur général. " Ce qui est trop facile, c'est de sortir les archives Papon et de laisser les autres. Laissez moi le dire familièrement, c'est pas du jeu ". La voix chevrotante, Maurice Papon ajoute : " Je joue mon destin, ma fin de vie ici, hé oui ". " Et les morts, ils jouent quoi? " lance Maurice-David Matisson, assis au premier rang des parties civiles.
" Avez-vous le sentiment que tout a été fait (pour éviter ce convoi) ? ". " Oui, tout a été fait. Qu'aurait-on fait de plus en se couchant sur les rails ? Une section SS aurait en une minute et demie tué les 50 ou les 100 personnes allongées sur les rails. C'était ça l'Occupation... On ne pouvait pas se promener sur les trottoirs sans se heurter au costume vert de gris, il y avait des boches partout ".
" Les reprises sont peut-être difficiles mais il va falloir s'y remettre " observe le président.
Après la suspension d'audience, le procureur général interroge plus précisément Maurice Papon sur la déportation des enfants. Parmi les 444 déportés du convoi du 26 août 1942, il y avait 64 enfants de moins de 16 ans. Sur les cinquante enfants dont les parents avaient été déportés en juillet, 24 ont été déportés à leur tour dont 15 dans ce convoi, 2 en octobre 1942 et 7 en décembre 1943.
" Que faites-vous pour sauver les enfants ? ". " Le 8 août, j'interviens auprès des autorités allemandes pour la libération des enfants de moins de 21 ans ". " Vous la suggérez " précise le procureur général.
" Ne fallait-il pas faire plus ? " poursuit le magistrat. " Ce que je voudrais savoir, M. Le procureur général, pour mieux vous répondre, qu'est-ce qu'on me reproche, mes interventions ou mes absences d'intervention ? Ma question n'est pas impertinente, elle est légitime " s'insurge l'accusé.
" Qui a informé les familles d'accueil où se trouvaient les enfants dont les parents avaient été déportés en juillet ? ". " Ce sont les autorités allemandes qui ont ordonné le regroupement. Les Allemands ont prévenu la préfecture qui a prévenu les familles d'accueil pour qu'elles puissent prendre des décisions. A partir de ce moment là, je ne sais pas ce qui s'est passé " assure Maurice Papon qui formule alors des regrets à sa manière : " Si vous voulez que j'exprime un regret, sachant aujourd'hui ce qui s'est passé, je regrette de ne pas m'en être occupé plus activement ".
Pour sa défense, Maurice Papon voudrait surtout que la cour lise la déposition de Mme Deysieux qui avait recueilli Rachel et Nelly Stopnicki, 2 et 5 ans, à Salles et qui les a raccompagnées le 25 août 1942 à Bordeaux. Cette dame qui vit toujours, a fait parvenir un second certificat médical à la cour. Me Touzet demande alors que soit visionnée l'interview qu'elle a accordée à Jean-Yves Gros pour TF1, au mois de septembre, et dont le tribunal de Bordeaux a interdit la diffusion. La cour a mis sa décision en délibéré.
Par contre, le président décide de visionner (mercredi ou jeudi) les deux dépositions d'André Frossard et Yves Jouffa, enregistrées au procès de Klaus Barbie en 1987 devant la cour d'assises de Lyon.
Mardi, c'est au tour des avocats des parties civiles et de la défense d'interroger Maurice Papon. Puis la cour entendra des témoins et plusieurs parties civiles.
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