Klarsfeld et compagnie - 02/02/1998

Depuis le début de leur lutte contre l'oubli, l'antisémitisme et le nazisme, en 1966, Beate et Serge Klarsfeld suivent la même logique, dont leur fils Arno est le digne héritier

Dominique DE LAAGE

En giflant publiquement, le 7 novembre 1968, le chancelier allemand Kiesinger, qui avait été durant la guerre directeur adjoint de la propagande radiophonique du Reich vers l'étranger, Beate Klarsfeld imprimait son style à la " méthode Klarsfeld ". Provocation, mise en scène, courage physique et captage des médias. A l'époque où cette baffe fondatrice envoyait sa maman pour quatre mois derrière les barreaux, Arno Klarsfeld était âgé de 2 ans.
Trente ans plus tard, à Bordeaux, le digne héritier de Beate et de Serge Klarsfeld perpétue la tradition familiale en cherchant à mettre hors jeu le président Castagnède, sous les yeux ahuris des autres parties civiles. La condamnation de l'administration de Vichy qu'espéraient les Klarsfeld à travers le procès de Maurice Papon ne leur semblant pas probante, Arno et son père brouillent délibérément le jeu. L'effet est immédiat. Les débats bordelais, relégués depuis quelques semaines au second plan de l'actualité, reviennent immédiatement sur le devant de la scène.

" Le cri de mon peuple "

Ainsi sont les Klarsfeld. Jusqu'au-boutistes et un rien manichéens. Au moment de la rencontre parisienne de Serge et de Beate, au début des années 60, rien n'annonce encore leur destin obstiné de traqueurs de nazis et de serviteurs de la mémoire juive.
Elle est âgée de 24 ans lorsqu'elle se marie avec lui, qui a 27 ans, en 1963. Fille d'une modeste famille berlinoise protestante, fluette et sensible, les yeux couleur châtaigne, le front volontaire et le sourire presque enfantin, elle est venue à Paris pour se placer au pair et finir sa formation de secrétaire bilingue. Avant même de croiser Serge, elle exprime son tempérament rebelle dans un livre, " Allemandes au pair à Paris, guide et manifeste ", qui n'est pas sans provoquer un certain émoi. La passion est déjà là, prête à s'enflammer pour une cause.
Serge la lui fournira bientôt. Lui est fils d'Arno Klarsfeld, un juif roumain exilé en France qui s'est engagé en 1939 dans un régiment de volontaires étrangers pour ferrailler contre l'Allemand dans la Somme. Durant l'Occupation, la famille Klarsfeld se replie dans un appartement niçois, où Arno aménage une cache au fond d'une penderie, en prévision du pire. Lequel ne tarde pas à frapper à la porte, le 30 septembre 1943, vers minuit. On réveille les enfants, on se presse de faire les lits et de dissimuler toute la famille dans le double fond. Excepté Arno, le père, qui veut, par sa présence, éviter une fouille en règle du logement. Arno, grand-père d'Arno, se sacrifie pour les siens. Arrivé à Auschwitz, il assomme un kapo qui le frappe. Il ne reviendra pas du bagne, où il est envoyé en représailles.
Reste qu'en ce début des années 60, au moment de son mariage dans une France insouciante, la conscience juive de Serge n'a toujours pas émergé. De son refuge dans une école catholique après la rafle de Nice, le jeune Serge est passé à celui des livres et de Sciences Po. La rencontre avec Beate et un pèlerinage à Auschwitz, en 1966, le ramènent définitivement à lui, à eux : " Il me semblait que j'entendais le cri de mon peuple, un cri à la mesure du crime, un cri impossible à interrompre, se prolongeant à l'infini. " L'année suivante, comme son père en 1939, il se porte volontaire en Israël lorsque survient la guerre des Six Jours. Beate, un an plus tard, gifle publiquement Kiesinger au visage en le traitant de nazi.

" Violence symbolique "

Dès l'affaire de la gifle, les Klarsfeld déterminent leur rapport aux médias : " Il faut agir avec une violence symbolique qui entame la conscience publique. Quand on est faible, il faut agir avec force, violer la légalité avec tact. "
Une ligne dont ils ne se départiront pas, à mesure que les rôles de l'un et de l'autre se précisent : elle en porte-parole et commis voyageur, dénonçant l'Holocauste pour fustiger l'antisémitisme d'aujourd'hui de Prague à La Paz, en passant par Beyrouth et nombre de geôles. Lui de plus en plus centré sur le combat juridique.
Le tableau de chasse débute par la traque des criminels condamnés par contumace en France et tranquillement à l'abri en Allemagne. L'une de leurs premières cibles est Kurt Lischka, l'ancien chef de la Gestapo à Paris, l'homme de la rafle du Vel'd'hiv, recyclé comme fondé de pouvoir d'une grosse firme de céréales à Cologne. Les Klarsfeld tentent de l'enlever. Et lèvent peu à peu les barrières juridiques qui le protègent, lui et les autres. Les Heinrischsohn, Hagen, l'ex-chef de la Gestapo à Bordeaux... Les responsables de l'appareil policier en France durant l'Occupation ne trouvent aucun répit.
Ceux qui sont réfugiés en Bolivie et au Pérou, non plus. La Bolivie ne veut pas lâcher Klaus Barbie ? Les Klarsfeld, aidés par Régis Debray, l'enlèvent, mais échouent au Chili, à cause de la chute de Salvador Allende. Dix ans supplémentaires d'entêtement déboucheront sur l'expulsion du " boucher de Lyon ".
Entre-temps, Arno a grandi. Et s'est fait " militant-avocat ", comme papa. Il plaide dans le procès Touvier. Puis débarque cet automne à Bordeaux dans le procès Papon. Où le président Castagnède, dès la remise en liberté de l'accusé, en octobre, devient " suspect " aux yeux du clan.
A la première occasion, les Klarsfeld ont donc tenté, cette semaine, un énième " enlèvement ". Quoi de plus naturel ?


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