"Je vis toujours à Auschwitz" - 12/02/1998

Trois rescapés d'Auschwitz et Buchenwald ont témoigné des atrocités des camps de la mort

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Jeudi 12 février. Soixante septième journée d'audience. Tout juste inscrite au barreau de Paris, Me Lida Klarsfeld, la jeune soeur d'Arno et la fille de Serge, se constitue partie civile au nom d'une petite cousine d'Estreja Torres, déportée dans le convoi du 13 mai 1944, avec son mari et ses dix enfants. Lida prend place à côté de son frère.
Aujourd'hui, la cour entend trois rescapés des camps de la mort. Pierre Durand, 75 ans, résistant à 18 ans, adjoint du colonel Fabien, déporté à Buchenwald de mai 1944 à avril 1945, assure que " dès août 1942, les plus vives préoccupations régnaient dans les milieux de la résistance sur le sort des juifs envoyés dans les camps de la mort ". " Dans les mois suivants, affirme-t-il, il était connu que les juifs étaient exterminés dans les camps de façon massive ". En 1943, il a lui-même lu des tracts et des journaux clandestins où l'on dénonçait ces " assassinats massifs " : " Je pense qu'il est peu vraisemblable que l'accusé, au niveau où il se situait, en contact avec la police, ait pu ignorer ce qui se passait. Du moins d'une manière générale ".
Evoquant les hauts fonctionnaires résistants qui étaient avec lui à Buchenwald, Pierre Durand veut témoigner " d'attitudes différentes " dans l'administration. Il veut aussi dire que " dans tous les camps, c'était à la mort qu'étaient voués les internés. Il y avait deux façons de tuer : La mort donnée immédiatement dans les chambres à gaz et la mort qui venait plus lentement, par l'épuisement au travail, la maladie, la misère. Mais tout cela était planifié ".

"Ils savaient"

Comme Léon Zyguel (lire le compte-rendu du mardi 6 janvier 1998), Pierre Durand témoigne également de la vie dans ce camp et notamment des 900 enfants juifs et tziganes que les autres détenus ont cachés, nourris et sauvés. Pierre Durand n'a pas davantage oublié le serment des internés de Buchenwald qu'il a lu en français, le jour de la libération du camp le 11 avril 1945 : " Nous nous sommes jurés de poursuivre tous les responsables de ces crimes et de défendre jusqu'à la fin de notre vie les idéaux de justice, de paix et de liberté.
Pour la première fois, comme le note Me Boulanger, un témoin raconte que lorsque ces enfants juifs et tziganes sont arrivés des camps de Pologne et de Hongrie et qu'on a voulu les conduire à la douche, ils hurlaient car ils pensaient qu'ils allaient être gazés. " Comment savaient-ils? " " Ils le savaient parce que tout le monde le savait dans les camps de concentration. Ils avaient entendu parler du sort tragique réservé à leur peuple " répond simplement Pierre Durand.
Hélène Allaire, 71 ans, était résistante à Royan. Cette dame qui demeure assise tout au long de sa déposition, a été déportée à Auschwitz avec sa mère le 24 janvier 1943. Sa mère est décédée deux mois plus tard et un certificat de décès a été adressé le mois suivant à sa famille. Au point que la grand mère a alerté la Croix Rouge pour obtenir des nouvelles de sa petite fille.
Me Michel Touzet évoque également le rapport mensuel d'avril-mai 1943 de la préfecture de la Gironde qui mentionne que 19 des 43 déportées (résistantes) de la région du sud-ouest sont mortes en déportation de " pneumonie, grippe ou crise cardiaque ". " Est-ce que le secrétaire général s'est ému de ce qui s'est passé dans ce camp ? " interroge l'avocat. " Il ne faudrait pas mettre tous les malheurs du monde sur le dos du secrétaire général de la préfecture, lequel, c'est évident, ne voyait pas tous les papiers. Les notifications de décès procédaient d'un mécanisme automatique. Je pense avoir répondu de manière claire aux fantasmagories " se défend Maurice Papon.

Les cadavres

Que savait Maurice Papon ? C'est aussi le sens des nombreuses questions posées par Me Arno Klarsfeld " à la manière de son confrère et aîné, Me Varaut ". Maurice Papon manifeste vite son agacement : " Me Klarsfeld fait table rase de l'adversaire comme si les Allemands n'existaient pas, comme si les nazis n'agissaient pas, comme si on était entre nous dans un salon ".
André Balbin, 89 ans, est lui aussi un " revenant " d'Auschwitz. Ce vieux monsieur, petit et sec, fine moustache blanche, marche lentement, appuyé sur sa canne. Ses parents, sa soeur et ses trois neveux, réfugiés à Branne (Gironde), ont été déportés dans le convoi du 26 octobre 1942. Il l'a appris en arrivant à Auschwitz : " Mes parents étaient trop vieux, ils ont été gazés tout de suite ". André Balbin s'est pas partie civile.
D'une voix chevrotante, il dit les coups, les humiliations, la faim, le froid et les " copains qui tombent les uns après les autres ". Il décrit toutes les atrocités auxquelles il a survécu durant trois ans. Son récit est entrecoupé de sanglots : " J'ai des larmes dans les yeux, il faut m'excuser, je n'ai jamais pleuré. On ne pouvait pas pleurer ". Même lorsqu'il faisait partie du commando, chargé au petit matin de recouvrir de chaux les cadavres des juifs gazés pendant la nuit : " Un jour, un copain a crié : " c'est ma fille ". Nous, on a dit, c'est pas possible. Mais il criait. Un soldat est arrivé et l'a descendu ".
André Balbin relève la manche de son costume pour montrer le matricule 43796 à jamais inscrit sur son bras gauche. " Je ne suis pas sorti d'Auschwitz, je vis toujours à Auschwitz " confesse-t-il, avant de dire à la cour : " Je crois en vous qui jugez l'assassin. Je veux vivre et voir sa mort. Papon doit payer, il le faut. S'il n'y a pas de prison, il n'y a pas de justice ".
L'examen du convoi du 13 mai 1944 se poursuit lundi avec les parties civiles. Il n'y a, en effet, pas d'audience ce vendredi.


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