Maurice Papon : il a eu la parole en dernier avant que le jury ne se retire pour délibérer. (Crédit F.Cottereau)
En fin d'audience, Maurice Papon a évoqué, en sanglotant, la mémoire de son épouse, avant de mettre en garde les jurés sur les conséquences d'une mise en cause abusive des fonctionnaires de l'Etat
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOUR
Mercredi 1er avril. Quatre-vingt quatorzième et dernière journée d'audience. Il règne dans la salle d'audience l'anxiété des derniers instants. En apparence, pourtant, rien n'a changé. Maurice Papon est assis dans son box, les bras croisés. Une chemise verte est posée devant lui. Elle renferme les feuillets du discours qu'il prononcera à l'issue de l'audience, avant que les jurés se retirent pour délibérer.
Les neuf jurés, cinq hommes et quatre femmes, ont ouvert leur bloc rouge qu'ils noircissent depuis près de 6 mois. Tout au plus, les bancs des avocats des parties civiles, clairsemés depuis le réquisitoire, sont-ils de nouveau occupés.
Me Jean-Marc Varaut est debout, face à la cour. Au matin de sa quatrième et dernière journée de plaidoirie, il veut emporter la conviction des jurés sur " l'injustice " qu'il y aurait à condamner Maurice Papon pour crimes contre l'humanité. Pour l'unique raison, à ses yeux, que le " secrétaire général de la préfecture de Bordeaux ne connaissant pas le plan d'extermination des juifs, ne savait rien du destin de ceux que les SS faisaient arrêter à Bordeaux ".
" Il n'y a aucune preuve qu'il ait su que la cruauté du sort des juifs allait à une mort immédiate et programmée " répète Me Varaut qui rappelle les propres témoignages des victimes qui se sont succédé à la barre, les courriers adressés aux familles avant le départ des camps de Mérignac ou Drancy, les analyses des historiens ou les déclarations des résistants qui étaient à Londres aux côtés du général de Gaulle : " C'était le secret le mieux gardé de la Guerre ".
" Le secret, insiste Me Varaut, est le condition sine qua non de l'extermination. L'extermination ne réussit que si les victimes sont maintenues dans la plus totale ignorance. Plus l'extermination est secrète, moins elle rencontre d'obstacle, et plus vite elle est réalisée. Plus elle est rapide, et plus elle a de chance de rester secrète ".
" Faut-il aller plus loin (dans la démonstration)? " interroge l'avocat qui s'étonne qu'on n'ait pas davantage parlé de l'extermination des juifs après la libération en août 1944 et relève que le premier article parait dans la presse en janvier 1945. Même les 112 livres écrits entre 1945 et 1948 ont été peu lus : " Ce qui était indicible n'avait pas d'oreilles et peu de lecteurs ".
" Il faut conclure " soupire Me Varaut, comme à regret. " Il faut clôturer ce procès de près de 6 mois qui n'a pas été long, pour essayer de comprendre ce que Maurice Papon a su, pu et voulu dans un moment de notre histoire où il fallait subir, survivre et sauvegarder ".
Pour la dernière fois, il en appelle à " la conscience " des jurés afin qu'ils répondent " non " à l'aide et l'assistance qu'aurait apporté Maurice Papon pour " permettre aux SS d'arrêter, séquestrer et assassiner les Juifs ". Et les met en garde contre une condamnation qui conduirait " la France à porter le deuil impossible de l'Allemagne ".
Il exhorte la cour et les jurés à un " jugement juste par civisme et impartialité " : " Si vous acquittez Maurice Papon, ce sera une frustration pour les initiateurs du procès, mais ce ne sera pas un scandale. Le contraire le serait. La justice n'exige pas un sacrifice injuste. Vous savez le rôle de Maurice Papon, vous savez le droit, vous avez à répondre " non " à l'injustice que serait sa condamnation ". Me Varaut a plaidé 14 h 30.
" Comédien ! " lâche Michel Slitinsky au premier rang des parties civiles.
Après avoir rejeté les trois questions subsidiaires déposées la veille par Me Varaut, le président donne la parole à Maurice Papon.
Maurice Papon se lève, ajuste ses lunettes, prend les feuillets entre ses mains : " Le monstre juridique qu'on a tenté de vous décrire est touché en plein coeur. Ainsi s'achève par la mort tout ce qu'un être aimant peut apporté à un être aimé ". A la surprise général, il évoque en réprimant des sanglots le souvenir de sa femme, " une grande dame ", décédée la semaine dernière : " Ce procès où la disparue était avec moi, présente dans ce box, et ce qui l'a précédé, l'ont assassinée à petit feu. Le réquisitoire de 20 ans de réclusion a porté le coup de grâce... C'est pourquoi en ces circonstances dramatiques, je renonce au dessein que j'avais de rappeler comment cette affaire s'est développée, le long d'un chemin semé de traquenards et de chausse-trappes, de conspirations, mensonges, injures et infamies au fin d'intoxiquer le pays ".
Maurice Papon se reprend pour dénoncer une nouvelle fois " la manipulation " de l'arrêt de renvoi, " aujourd'hui réduit en lambeaux ", ainsi que l'attitude du ministère public " manipulateur de la réalité qui a ramassé ces lambeaux, jeté le droit français aux orties pour satisfaire des pulsions ou obéir aux injonctions d'en haut " : " Il serait intéressant de savoir pourquoi le réquisitoire a changé de costume. Ce qui était vrai il y a deux ans, cesse de l'être aujourd'hui. Quand vous trompez-vous ? Hier ou aujourd'hui ? Vous distillez vous-même le doute par vos discours confus et contradictoires " lance-t-il au procureur général.
" La seule issue et le seul espoir sont dans l'indépendance et le courage de la cour et du jury populaire. J'ai la grâce d'y croire, c'est pourquoi je suis ici et maintenant devant vous " dit-il aux jurés .
Il évoque à demi-mot le " meurtre prémédité et massif d'une population innocente " pour assurer : " Les victimes et la mémoire ne sauraient être compromises par les extravagantes poursuites tardives et faussées. Il restera la piété que nous devons porter à la communauté juive, loin d'être unanime sur ce procès ".
Puis il en revient à " l'injustice criante et au choix arbitraire d'une victime expiatoire et conjuratoire " d'un fonctionnaire de 31 ans qui avait choisi de " rester au service de la communauté nationale en faisant face à l'occupant " : " Soyez attentifs aux conséquences d'une mise en cause abusive de la responsabilité des fonctionnaires et des magistrats sur le fonctionnement de l'Etat. Vous devriez savoir que rester à son poste requiert souvent plus de courage que de déserter ".
" Si vous me condamnez, vous condamnez en même temps le crime contre l'humanité qui vise le monstre absolu. Il ne peut y avoir un crime contre l'humanité à 20, 30 ou 60 %, ce crime ne peut être tronçonné, c'est le tout ou rien, je suis coupable ou innocent. Si c'est tout, ce sera au prix d'une injustice de grande portée qui fera écho à la faute historique et que la France traînera comme un boulet dans son histoire. Si c'est rien, il y aura une justice retrouvée. Le respect du sacrifice des Juifs, de leur deuil, leur mémoire, n'a nul besoin d'une décision judiciaire pour être reconnu ".
En conclusion de son propos, le Serviteur de l'Etat reprend le dessus : " Au delà de mon sort qui représente peu de chose désormais, veillez à ce que la France ne soit pas touchée par votre verdict ". Il a parlé 35 minutes.
En quelques instants, d'une voix grave, le président résume les 764 questions auxquelles les jurés doivent répondre et rappelle le texte de leur serment : " Avez vous une intime conviction ? ".
La cour et le jury se retirent pour délibérer. Il est 13 h 45.
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