Le Résistant du Médoc interrogé au nerf de boeuf en parle encore comme si c'était d'hier.
Dominique RICHARD
Le 13 juillet 44, René Lafond est arrêté les armes à la main dans le bourg de Saint-Estèphe par les hommes de la Kriegsmarine de Pauillac. La veille au soir, il est revenu de Toulouse où il a vainement tenté de trouver une filière d'évasion pour plusieurs aviateurs américains dont les appareils avaient été abattus au dessus de l'estuaire. Fondateur du maquis du Médoc aux côtés de Jean Dufour, René Lafond tombe à quelques semaines de la Libération, victime d'une délation.
" J'ai immédiatement été transféré au siège de la Gestapo dans une villa du Bouscat. On m'a amené dans une pièce du premier étage. Deux nerfs de boeuf plombés formaient un X sur la cheminée qui faisait face à l'entrée. Anton Enzelsberger était assis derrière un bureau où un révolver et des cordes étaient posés bien en évidence. Trois autres hommes étaient là.
Ils m'ont demandé de me déshabiller jusqu'à la taille. Et ils m'ont d'abord frappé avec des nerfs de boeuf. Cela a duré plusieurs heures. Parfois, Anton Enszelsberger se levait et me menaçait avec une arme pour me forcer à parler. Je n'ai jamais prononcé un mot ou un nom. Tout l'après-midi, j'ai pris des coups de poing et des coups de pied.
Ils m'ont cassé sept dents, m'ont abîmé l'estomac. Après l'interrogatoire, je ne tenais plus debout. Ils m'ont traîné par les pieds et par les bras dans une cave où je suis resté plusieurs jours dans le noir. Pendant tout ce temps, j'ai vomi du sang. J'étais comme fou. A un moment, un Allemand est venu pour me donner un peu d'eau. Je ne pouvais rien avaler tellement cela me brûlait.
Dans ces instants là, on n'a pas peur de la mort. Je pensais qu'on allait me liquider. Je voulais simplement qu'on en finisse au plus vite. A un moment, on est venu me chercher pour me transporter dans une baraque située au fond de la cour. Un bel homme, habillé en civil, m'attendait. J'ai cru que cela allait recommencer. Je ne pouvais pas me lever et j'étais incapable de parler. Ceux qui me portaient m'ont aidé à m'asseoir sur une chaise. Mon revolver et mes munitions étaient posés sur la table. " Je dois vous fusiller. Sachez seulement que vous avez été dénoncé par quelqu'un de votre région ", m'a dit l'officier sans autre explication avant que l'on ne me ramène à la cave. "
Ecroué au Fort du Hâ, René Lafond s'en sortira miraculeusement. Le SS Friedrich Dohse avait annoncé qu'il supprimerait cent otages si Grandclément, l'un des chefs de la résistance qu'il avait retourné, était éliminé par ses anciens compagnons. Le 28 juillet Grandclément était passé par les armes. Le 1er août, 48 hommes tombaient sous les balles d'un peloton d'exécution à Souges. Parmi eux quatre maquisards du Médoc.
A l'heure de constituer la liste, personne n'était venu ouvrir la porte de la cellule de René Lafond. Le 10 août, ce dernier quittera Bordeaux par le fameux train fantôme que la résistance sera incapable de stopper. Bloqué dans la vallée du Rhône, immobilisé à plusieurs reprises, il atteindra le camp de concentration de Dachau 18 jours après avoir quitté la Gare Saint-Jean.
Libéré au printemps 45 par les Américains, René Lafond avait su puiser au fond de lui même l'énergie pour survivre. Le typhus, les mauvais traitements, le froid, la malnutrition n'ont pu avoir raison de cet homme protégé par la meilleure antidote qui soit : un idéal !
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