"Expliquer n'est pas justifier" - 27/10/1997

Henri Amouroux aurait dû témoigner lundi après midi pour parler de Vichy et de l'occupation Allemande. Interview

" Sud Ouest ".- Votre refus de " l'histoire en noir et blanc " vous vaut chez certains critiques l'accusation de " bana liser " la collaboration et les persécutions. La ressentez-vous comme injuste ?
Henri Amouroux.- Que l'on me critique parce que je n'écris pas " en noir et blanc ", parce que je ne suis pas manichéen, sectaire, est pour moi un honneur. Je ne quête pas l'approbation de la classe politico-médiatico mais la sympathie vraie de mes lecteurs. Ils savent -et c'est la raison pour laquelle ils sont si nombreux - que je ne leur mens pas, que je m'efforce de faire comprendre les évolutions d'une époque riche en évolutions. " Banaliser " la collaboration, c'est une accusation ridicule. J'ai dénoncé la collaboration dans ce qu'elle a d'atroce et j'ai consacré le tome 5 de la Grande Histoire des Français sous l'Occupation au drame vécu par les juifs. Ce volume et d'autres aussi disent les responsabilités de Vichy dans le génocide.
S.O.- Avez-vous conscience que " l'explication " peut apparaître comme une forme de défense ?
H.R.- Pour les sectaires, oui. Je vous ai déjà dit que les sectaires ne m'intéressaient pas. Je suis convaincu qu'ils intéressent de moins en moins les Français. Depuis quand " expliquer " est-ce " justifier ". Que l'on ouvre un dictionnaire. Je suis stupéfait qu'à force de globaliser, on fasse un Vichy sans les Allemands, sans la " collaboration " parisienne - une collaboration acharnée à dénoncer Vichy- que l'on oublie l'abandon dans lequel la France s'est trouvée en 1940; le pacte germano-soviétique, l'isolationnisme américain, le drame de Mers El-Kébir où 1 297 marins français ont été tués le 3 et le 6 juillet, c'est-à-dire quelques jours à peine avant la réunion du Parlement à Vichy, réunion au cours de laquelle nul n'a mis en cause l'armistice.
Il est facile de refaire l'histoire avec des " il n'y avait qu'à ", " on aurait pu ", " on aurait dû " ! L'histoire réécrite par ceux qui, sachant comment elle a fini, oublient comment elle a commencé, ne peut être qu'une histoire fausse et faussée... J'ajoute que les Français de 40 vivaient dans un monde privé d'information et que leurs priorités n'étaient pas celles que nous souhaitons aujourd'hui qu'ils aient eues. Leurs priorités en juillet-août-septembre 1940 -aussi bête que cela paraisse aux grands esprits d'aujourd'hui- étaient les suivantes : retrouver les enfants perdus dans ce flot de l'exode qui avait porté huit à neuf millions de Français du nord au sud-ouest et au sud-est, avoir des nouvelles des prisonniers -il y en a près de deux millions-, savoir ce qu'était devenue leur maison (on oublie que bien des villes avaient été bombardées et détruites), s'inquiéter de leur entreprise. Malheureusement, ces priorités font qu'ils s'intéressent peu à ce qui se passe à Vichy et notamment aux premières lois antisémites. Un peuple KO ne se réveille pas immédiatement. La prise de conscience sera lente. Elle viendra en 1942, au moment des rafles et sera surtout perceptible en zone non occupée lorsque l'Eglise, par la voix de quelques- uns de ses prélats, interviendra.
Mais je dois dire que sur ce drame immense du génocide, les Français n'ont pas été alertés comme il l'aurait fallu par ceux qui étaient à l'extérieur : par la radio de Londres qui a été - sauf en août 42- assez taisante, par les Etats- Unis qui en ayant, avec bien d'autres nations, un ambassadeur à Vichy, ont, en quelque sorte, " cautionné " Vichy et le cautionneront longtemps encore. Que l'on relise de Gaulle !
Si " Sud Ouest " m'accorde un jour quelque place, je dirai pour quelles raisons entre 40 et 44 les Français n'ont pas ressemblé à la caricature que certains s'appliquent à en donner aujourd'hui. Rien n'a été simple; rien n'a été facile. Quatre années d'occupation, c'est long et j'espère de tout coeur que les donneurs de leçons d'aujourd'hui n'auront pas à vivre un jour une épreuve identique.


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