Maurice Papon s'est défendu avec véhémence. (Crédit A.F.P)
Maurice Papon nie sa responsabilité dans la rafle du 10 janvier et le convoi du 14 janvier 1944 qui a conduit 317 juifs à Drancy
Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG
Jeudi 5 février. Soixante deuxième journée d'audience. Le président poursuit avec toujours autant de rigueur l'interrogatoire de Maurice Papon sur le " triage " des 228 juifs après leur arrestation dans la nuit du 10 au 11 janvier 1944, la préparation du convoi du 12 janvier 1944, ainsi que les tardives et inutiles interventions de la préfecture après le départ des 317 déportés à Drancy.
Le 12 janvier, dans une note manuscrite à Jacques Dubarry, le chef du service des questions juives, Maurice Papon demande que soient libérés ou du moins laissés au camp de Mérignac " les juifs intéressants ", pour la plupart des anciens combattants et leurs femmes.
" La terminologie peut choquer aujourd'hui quand on lit cette prose, mais à l'époque, elle était courante " se justifie Maurice Papon qui assure surtout : " Cette note exprime la préoccupation de l'administration de sauver, une fois de plus, tout ce qui peut l'être ".
Avant le départ du convoi, 19 personnes sont libérées et 23, exemptées de départ. Sept d'entre elles seront libérées à la fin du mois de janvier, sur décision des Allemands. " Après intervention de Jacques Dubarry " ajoute Maurice Papon.
Le 12 janvier 1944, Maurice Papon signe une réquisition pour deux autobus destinés à transporter les juifs de la Synagogue où ils sont enfermés depuis deux jours, à la gare Saint Jean. " Ce document répond à une nécessité d'ordre matériel, se défend Maurice Papon... Il fallait tout de même leur éviter d'aller à pied à la gare ". " Le service des questions juives a pourvu à la nourriture, les paillasses, les matelas. Nous voulions permettre à ces pauvres gens de survivre à cette épreuve " ajoute Maurice Papon qui, comme le remarque le président Castagnède, place son action " sur le terrain de l'humanitaire et du matériel ".
Le rapport journalier de la gare Saint-Jean indique que le train de 24 wagons couverts est arrivé en gare à 13 h 20, avec 20 juifs de Bayonne. L'embarquement des 317 juifs de Bordeaux et des 44 policiers français et allemands commence à 13 h 40. 15 à 20 personnes et deux policiers montent dans chaque wagon où il n'y avait ni bancs, ni paille, seulement deux seaux hygiéniques. Le train part à 15 h 52.
Dans un court rapport de 10 lignes, en date du 17 janvier, l'officier de paix qui accompagnait le convoi parle de " wagons à bestiaux ", d'une botte de paille qui a été mise à Coutras dans deux wagons sur trois et des 25 heures de voyage de Bordeaux à Bobigny. " C'est la première fois que les wagons à bestiaux sont utilisés, remarque le président. Les déportés partent de Bordeaux à Drancy dans les mêmes conditions qu'on partait de Drancy à Auschwitz ".
Dans un rapport adressé le 13 janvier au gouvernement de Vichy, Maurice Papon sollicite l'intervention des autorités françaises pour la libération de trois personnes non juives qui sont parties dans le convoi.
Le 21 janvier, l'intendant Duchon demande aux SS de régulariser la réquisition des policiers qui ont escorté le convoi. " Une manière noble : Pour l'histoire. Une manière plus vulgaire : Le parapluie " convient l'accusé qui, le 3 février, écrit de nouveau au gouvernement pour obtenir des informations sur les interventions sollicitées le 13 janvier. Le 20 février, le service de l'armistice répond que jusqu'à présent, les démarches se sont heurtées à une fin de non recevoir. " Cette réponse témoigne d'un affaissement des forces gouvernementales en 1944, du délitement de la France " assure Maurice Papon.
Il est de toute manière trop tard pour les déportés de Bordeaux. Les parents Torres et leurs huit enfants ainsi que Maklouf Mouyal ont été déportés à Auschwitz le 20 janvier 1944, et les quatre membres de la famille Jacob, le 3 février 1944. Seul Léon Robert, déporté sur le mur de l'Atlantique, est revenu à Bordeaux le 25 mai 1945.
En conclusion de l'examen de cette quatrième rafle et de ce septième convoi, Maurice Papon se lève et d'un ton péremptoire affirme : " C'est l'éternelle question que je pose. Pourquoi ces parties civiles rendent le secrétaire général de la préfecture responsable de la disparition de leur famille. Ce que nous venons de voir pendant deux jours est pourtant clair, je n'apparais pas directement, ni indirectement, ni comme décideur, ni comme exécutant. J'interviens quand il s'agit de prendre des mesures d'aides humaines tendant à soulager le sort épouvantable réservé à cette population, ce qui ne constitue pas un crime contre l'humanité. Alors comment, par quel prodige, par quel mécanisme, mon nom est saisi dans ce drame pour m'en rendre responsable ? Ce que je dis pour ce convoi est valable pour les autres
Après la suspension d'audience, le procureur général Henri Desclaux demande notamment à Maurice Papon pourquoi, en ce début 1944, il accepte encore d'obéir aux ordres de Vichy. " Vous évoquez là le point de friction que j'ai eu avec Maurice Sabatier. Je respecte sa mémoire et sa décision mais je préconisais un refus total. Je n'ai pas été suivi. Tant pis. J'ai été solidaire. La solidarité fait partie de ma pratique quotidienne ".
Ce vendredi, la cour entendra cinq témoins de ces faits : Robert Lacoste, Yvette Moch, Berthe Muratte, Léon Sauffrignon et René Tauzin.
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