Dans une ambiance de hall de gare - 02/04/1998

Le palais de justice a totalement changé de physionomie la nuit du verdict. Il ressemblait à un hall de gare. Plusieurs salles d'audience ont été ouvertes pour accueillir ceux qui voulaient dormir

Dominique RICHARD

Une heure du matin. Personne n'a encore décroché. Dehors, ceux qui font la queue ou ne disposent pas du badge qui amadoue les CRS tiennent bon. A l'interieur, chacun discute en pensant que l'issue est proche. Discrètement, certaines parties civiles ont déjà renoncé à traverser la nuit, Michel Slitinsky le premier. La fatigue éclaircit d'abord les rangs du troisième âge.
Trois heures du matin. Toujours aucun signe en provenance de la salle des délibérés. Dans le hall des pas perdus, la lumière a été brutalement coupée. Une semi pénombre incite certains à se laisser aller. Un avocat des parties civiles connu pour sa prestance est affalé au bas d'un pilier. Sur les bancs où au bas des escaliers les gens s'assoient les uns après les autres.
Le pavé du palais se transforme progressivement en dépotoir. Les gobelets en plastiques jonchent le sol. Ils voisinent avec des tronçons de cigare, des papiers chiffonnés et des canettes gondolées. Plongées dans l'obscurité, les toilettes effraient déjà quelques coeurs sensibles. Le carrelage est maculé par les traces de pas.
Sanglé dans son imperméable impeccable, Me Joe Nordmann qui vient de signer la dernière plaidoirie de sa carrière à Bordeaux affiche une forme éblouissante. Le regard malicieux de cet octogénaire pétillant est toujours en mouvement. Il est l'un des rares à braver ouvertement le sommeil. Les résistants qui pensent tenir le choc avec un café serré se replient vers la brasserie La Concorde qui ne désemplit pas.

Tout en sommeil

Les autres sombrent dans les bras de Morphée. C'est une vision de hall de gare, le spectacle d'une salle d'attente d'aéroport lorsque l'avion à vingt-cinq heures de retard que découvrent les visiteurs nocturnes. Ils poussent les portes d'un tribunal gardés par des cordons de sécurité de plus en plus lâches. L'une des hôtesses d'accueil s'est effondrée derrière son pupitre. Seuls ses cheveux dépassent un peu.
Devant cette hécatombe, le secrétaire général de la Cour d'appel décide de faire ouvrir plusieurs salles d'audience ou s'engouffrent les endormis. Un technicien d'Antenne 2, qui avait prévu de transformer le prétoire de la première chambre en studio d'enregistrement, tord le nez. Chaque banquette héberge un corps ! " Ici, c'est calme ", ironise un CRS débonnaire.
Les personnes encore valides qui veulent rire un peu passent obligatoirement par la salle des appels correctionnels. C'est d'ordinaire le royaume du président Castagnède qui vit ce soir les heures plus délicates de sa carrière. Le lieu a perdu de son austérité et le christ blême accroché au mur ne peut visiblement rien pour empêcher ces drôles de fidèles de s'allonger.
On dort ou on somnole sur le dos, sur le ventre où de coté. Quatre jeunes filles ont pris possession de l'estrade. Juste à coté d'un journaliste qui a trouvé judicieux de brancher son ordinateur à proximité du fauteuil réservé au représentant du parquet. Dans un coin, la dessinatrice du journal Le Monde croque en silence les postures incongrues des spectateurs de ce procès historique.

Le jour se lève

Sept heures du matin. Le jour approche, le trafic se fait plus dense sur le cours d'Albret tout proche. Imperceptiblement chacun se redresse alors que la lumière revient à l'intérieur du palais. Le panneau lumineux qui signale l'interdiction de fumer semble être la pour faire tapisserie. Le brouhaha des conversations emplit à nouveau l'espace.
Dans le courant de la nuit, les barrières qui entourent la salle d'assises ont été resserrées. Non loin des WC, une petite place a été réservée à Maurice Papon. En cas d'acquittement, l'ancien ministre pourrait bien vouloir prendre l'opinion publique à témoin. Les avocats des parties civiles disposent d'une bande de plusieurs dizaines de mètres de long.
Déjà, les journalistes audiovisuels disposent leurs escabeaux et tendent leurs perches pour prendre leurs marques. Derrière eux, un inconnu file bon train avec un carton empli de petits pots de confitures et de croissants. Les 764 questions au menu du délibéré ont visiblement creusé l'appétit des jurés. Ils débattent sans relâche comme ces deux étudiants qui après une nuit blanche parlent encore et toujours de Papon.
" Il n'a pas eu de pitié pour les enfants ",affirme l'un d'entre eux. Quelques secondes plus tard, un homme en uniforme ne peut s'empêcher de s'exclamer à haute voix : " ca y est ! On en voit le bout ! "Il est un peu plus de 8h. Le président Castagnède vient de faire savoir que les jurés étaient enfin tombés d'accord. " S'il est acquitté, je fais le tour du palais en courant ", lâche un CRS que le crime contre l'humanité ne passionne pas outre mesure.


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