Dans le secret du délibéré - 31/03/1998

Dominique RICHARD

Aujourd'hui, le début du mois d'octobre doit leur sembler bien loin ! Se rappellent-ils de la timidité qui était la leur lorsque après avoir été tirés au sort, ils ont été réunis par les magistrats ? Même s'il ne se passe pas une semaine sans qu'un procès d'assises ne fasse les gros titres de la presse, la procèdure et le rituel revêtent toujours aux yeux des profanes un caractère intimidant.
Avant chaque session, les jurés sont rapidement « dégrossis » par les professionnels. Ils leur font un exposé rapide du rôle de la juridiction constituée pour l'occasion et composée de trois juges et de neuf représentants du peuple. Souvent, le président en profite pour les éclairer sur le déroulé des audiences et les alerte sur l'indispensable secret du délibéré. Ceux qui l'éventent s'exposent à des sanctions.
Avant de sacrifier à une visite rituelle de la maison d'arrêt de Gradignan, les jurés prennent connaissance de l'article 353 du Code de procèdure pénale. Ces quelques phrases à la texture très « révolution française » les accompagnent pendant toute la durée des débats. Elles posent les rails qui s'imposent au cheminement de leur réflexion.
« La loi leur prescrit de s'interroger eux mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportés contre l'accusé et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question qui renferme toute la mesure de leurs devoirs. Avez-vous une intime conviction ? »

Premier tour de table

Pendant toute la durée du procès, les jurés n'ont pas à donner ou à laisser transparaître leur opinion sur la culpabilité de l'accusé. Les magistrats qu'ils cotoient s'interdisent de leur dire quoi que ce soit à propos de l'affaire qu'ils ont à juger. Même si des courants de sympathie naissent entre les hommes et les femmes amenés à siéger ensemble, les juges professionnels doivent toujours veiller à ce que les conversations ne portent pas sur le dossier.
Compte tenu de longueur des débats, Il est vraisemblable que les jurés du procès Papon ont déja commencé à échanger entre eux certaines impressions. Ils ont pris des notes, ont posé des questions aux témoins et se sont abondamment documentés. De part et d'autre de la barre, les avocats ont loué leur sérieux. En six mois, ils ont eu le temps de se faire une idée.
Lorsque la porte de la salle des délibérés se refermera derrière eux, ils prendront quelques minutes pour se détendre autour de rafraîchissements non alcoolisés, de gâteaux secs et éventuellement de sandwiches si la discussion se prolonge Ils resteront enfermés dans ce lieu clos gardé par les forces de l'ordre jusqu'à ce qu'ils aient tranché.
Ensuite, la pratique veut que le président, après avoir rappelé la nature du crime qui est jugé et l'importance de la peine encourue, fasse un premier tour de table. Les jurés sont alors invités à exprimer leur sentiment général, à revenir sur ce qui les a marqués pendant les audiences. Le président et ses deux assesseurs font ensuite de même.
Il se dégage ainsi les premières lignes de force avant que ne soient abordés les faits reprochés. Le jury ne peut pas faire l'économie de l'examen de toutes les questions qui se déduisent de l'arrêt de renvoi, le document officiel qui a retenu un certain nombre de charges à l'encontre de l'accusé. Pour ce qui est de Maurice Papon, il existe 764 interrogations qui devraient théoriquement être étudiées une par une.

A bulletins secrets

Le président ne peut grouper certaines d'entre elles qu'avec l'aval d'une majorité des membres du jury. Chaque vote doit avoir lieu à bulletins secrets après que les juges professionnels se soient assurés que le choix de chaque juré résulte d'une véritable réflexion. Sur chaque point, la culpabilité de l'accusé est établie à la seule condition que huit membres au moins du jury répondent par l'affirmative.
Si tel n'est pas le cas, l'accusé est acquitté. Dans l'hypothèse inverse, le jury se penche sur la peine. Le président ouvre l'échange oral et demande à chacun quel type de condamnation il envisage et sur quels critères il se fonde. Il précise parfois que la décision prise ne pourra être contraire au Droit. Ensuite, chacun inscrit alors sur un bout de papier son souhait. La perpétuité requiert huit voix sur douze, une peine inférieure sept voix.
Si la majorité requise n'est pas obtenue, on organise un autre tour de table. S'il est infructueux, on descend l'échelle des peines : 30 ans, 29 ans, 28 ans...Le dernier tour de scrutin est celui qui permet de rassembler au moins sept suffrages. Les débats sont alors clos. Le président se retire alors dans une pièce pour rédiger l'arrêt de condamnation qui devra être obligatoirement signé par le premier juré.
Lors d'un procès d'assises ordinaire qui se tient sur un ou deux jours, les magistrats professionnels peuvent impressionner le jury par leur capacité à développer leurs arguments. Mais dans un procès fleuve comme celui de Maurice Papon, cette influence perdra sans doute de son importance. En six mois, chaque juré s'est formé sur le tas et a acquis une intime conviction qu'il saura vraisemblablement défendre tout au long du délibéré.


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