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L'avocat général Marc Robert a ouvert le feu des réquisitoires (Crédit AFP)

"Carrièriste et pro-vychiste" - 18/03/1998

L'avocat général Marc Robert a défini hier l'aspect intentionnel du crime contre l'humanité. Aujourd'hui, le procureur général Henri Desclaux doit démontrer les élèments matériels de ce crime, avant de requérir la « peine juste » contre Maurice Papon

Compte rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mercredi 18 mars. Quatre vingt septième journée d'audience. Au terme de cinq mois et demi d'audience, le réquisitoire contre Maurice Papon est à la mesure de ce procès exceptionnel. Non seulement, il est prévu sur deux journées mais il est soutenu conjointement par l'avocat général Marc Robert, ce mercredi, et le procureur général Henri Desclaux, aujourd'hui jeudi.
D'une voix légèrement enrouée, sans certains emportements d'audience et sans élever le ton, l'avocat général Marc Robert évoque de manière méthodique les raisons de ce procès, la personnalité de l'accusé, et les élèments intentionnels du crime contre l'humanité. Aujourd'hui, le procureur général Henri Desclaux doit démontrer les élèments matériels qui fondent -selon le ministère public- la complicité de Maurice Papon avant de requérir « la peine que nous estimons juste » et que « seul le ministère public est légitimé à demander ».
Pour Marc Robert, ce procès n'est « ni celui de la France, ni des Français de l'époque, ni d'un régime même si l'attitude de l'accusé s'inscrit dans la politique de Vichy, ni de toute l'administration de l'époque même si pour juger Maurice Papon il faut s'interroger sur son rôle dans l'administration, ni de la résistance, ni du Gaullisme, ni de l'épuration, ni un procès intenté par des juifs, ni le procès de la mémoire ou de l'histoire » mais « le procès fait par la République contre un homme accusé de crimes contre l'humanité, pour rendre justice à des victimes ». Tout au long des 5 h30 de la première partie du réquisitoire, Maurice Papon est particulièrement attentif aux propos de Marc Robert.

« Sans état d'âme »

L'avocat général explique d'abord pourquoi Maurice Papon n'a pas été jugé au lendemain de la Guerre : « Le crime contre l'humanité était un crime du silence, le silence d'un Etat soucieux de reconstruire le pays, et le silence des survivants, incapables de nommer l'indicible ». Il y a voit aussi une raison bordelaise : « Si on n'ignorait pas totalement la rôle de l'administration dans la déportation des Juifs, on s'est bien gardé de l'exploiter et puis les victimes n'avaient jamais vu Maurice Papon, un homme de l'ombre qui n'est jamais allé à Mérignac ou à la gare Saint-Jean ». Il réfute ainsi l'argument du complot brandi par Maurice Papon : « Si Leguay, Bousquet et Sabatier sont morts, et si Maurice Papon se trouve seul aujourd'hui, il n'est ni innocent, ni bouc émissaire. Il répond de ses actes, de ses seuls actes ».
L'avocat général décrit ensuite la personnalité de l'accusé, un « homme à la mémoire remarquable, à l'intelligence vive, organisé et méthodique dans son argumentation, faisant preuve d'un certain courage devant l'adversité, respectueux face à l'autorité et agressif voire méprisant à l'égard des autres, froid, imperméable à l'émotion ».
Pour Marc Robert, Maurice Papon « appartenait à une génération de jeunes fonctionnaires qui n'avaient pas d'affinité particulière pour la révolution nationale. C'étaient des fonctionnaires brillants, efficaces, sans état d'âme, à qui le devoir d'obéir tenait lieu de ligne de conduite, de valeur morale et revêtait un caractère technique ».
Il évoque ainsi les relations avec son « mentor » : « Maurice Sabatier le politique avait besoin de Maurice Papon le technocrate », un fonctionnaire « dévoué, talentueux, digne de confiance, coopératif et apprécié des Allemands, qui a adhéré à la politique de Vichy dès 1940 et appliqué activement à Bordeaux la politique d'exclusion des Juifs ». Il cite ainsi de nombreux exemples d'arynanisation des biens des juifs, menée par le service des questions juives « dont Maurice Papon était le responsable ».
L'avocat général met fortement en doute la résistance « anti-dote » de Maurice Papon, en posant cette seule question : « Peut-on être à la fois résistant tout en étant fonctionnaire de Vichy et participer à la déportation des Juifs ? ». Il conteste également « le contre-feu humanitaire » : « L'humanité de l'accusé est, en fait obéissance et mise au service de l'efficacité allemande » affirme Marc Robert qui ne trouve « aucune preuve dans le dossier du moindre sauvetage de juifs ». « Voilà l'homme autoritaire, ambitieux, obéissant, carrièriste et pro-vichyste, résistant quand la victoire se précise, humaniste qui se cache bien, prétendant d'autant plus avoir sauvé des Juifs qu'il a aidé à en déporter » affirme l'avocat général.

« Sans visage »

Marc Robert définit ensuite les quatre élèments constitutifs du crime contre l'humanité : « Des actes inhumains et des persécutions qui prennent la forme d'arrestations, de séquestrations et de déportations, l'assassinat ne constituant que la paroxysme de ce crime; Commis contre une population visée en fonction de sa religion ou son engagement politique; Des actes systèmatiques et non isolés; Qui s'inscrivent dans le plan concerté d'une idéologie politique d'hégémonie du 3 ème Reich ».
L'avocat général convient que « l'auteur de ce crime, l'instigateur, le donneur d'ordre est allemand », mais « l'efficacité commande de s'appuyer sur le régime de Vichy, le premier complice, exécutant de la politique allemande. Cette complicité française se met en oeuvre à travers une chaine hiérarchique, une chaine de complicités ». Il place, au centre de cette complicité française, Pétain, Laval, Bousquet et les délégués comme Leguay, puis comme « deuxièmes complices, les responsables locaux de Vichy au premier rang desquels les responsables préfectoraux ».
A Bordeaux, il estime que le secrétaire général Maurice Papon auquel le préfet Maurice Sabatier « délégue toutes ses attributions » et qui a « les pouvoirs de police et d'internement », joue le « rôle de filtre, de contrôle » : « A cette époque, pour l'administration française comme pour Maurice Papon, les affaires juives sont des attributions administratives comme une autre, traitées avec les mêmes moyens, froidement ».
Selon l'avocat général, l'élèment intentionnel qui fonde la complicité reprochée à Maurice Papon existe dès juillet 1942 « lorsqu'il a connaissance du plan concerté sur la déportation » : « L'accusé n'a jamais nié le caractère inhumain des arrestations, séquestrations et déportations tout en y participant activement ». L'avocat général n'évoque pas la connaissance de la solution finale.
Il réfute ainsi à Maurice Papon le droit de se prévaloir de l'obéissance à un ordre hiérarchique : « Chacun garde la liberté de désobéir à un ordre inique », ou la moindre contrainte allemande : « Il n'y a jamais eu de menace car ils ont toujours fait ce qu'on leur demandait ». Tout au plus, convient-il qu'au fur et à mesure que la guerre avance, la « complicité s'étend à toute l'équipe de la préfecture » qui participe à ces déportations « mais celà ne dilue pas la responsabilité de Maurice Papon ». « Celà relève de l'appréciation du quantum de la peine » ajoute-t-il.
« Pouquoi a-t-il sciemment participé à ce crime contre l'humanité ? » interroge l'avocat général. Il y voit plusieurs raisons : « S'il a obéi sans se poser de question, c'est que ces ordres, ces instructions, sa conscience de haut fonctionnaire ne les a pas jugés inacceptables. Dès 40-42, il considérait aussi les Juifs comme des gens à part, des gens sans visage. Il avait aussi la volonté de faire carrière. Sa carrière est une succession d'obéissance et de fidélité professionnelle, Vichy n'y a pas échappé ».
« Le crime contre l'humanité n'est pas le fait d'une poignée de barbares. Il est le fait d'une nuée de fonctionnaires, de bureaucrates allemands et français qui ont rempli leurs obligations professionnelles. Parmi les bureaucrates, il y avait des responsables, des fonctionnaires d'autorité comme Maurice Papon. Ils ont tous, à un degré ou à un autre, légitimé l'inacceptable et anesthésié la conscience de leurs subordonnés ».
« Maurice Papon est un trafiquant de la réalité, un manipulateur de la mémoire » conclut Marc Robert. Le procureur général Henri Desclaux poursuit le réquisitoire aujourd'hui.
L'audience reprend à 9 h 30.


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