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Me Michel Zaoui, dernier avocat des parties civiles. (Crédit A.F.P.)

"Bureaucratie criminelle" - 16/03/1998

En conclusion des plaidoiries des parties civiles, Me Levy et Me Zaoui ont comparé " le fonctionnaire d'autorité " Maurice Papon à Klaus Barbie

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Lundi 16 mars. Quatre vingt sixième journée d'audience. Me Alain Levy et Me Michel Zaoui sont les deux derniers des 22 avocats à s'exprimer au nom des parties civiles.
" Vous jugez un criminel, un bureaucrate à sang froid, un fonctionnaire de Vichy, donc de la collaboration avec l'Allemagne nazie " annonce très directement Me Alain Levy. " D'autres auraient du être assis à ses côtés, mais être le seul ne peut l'exonérer de sa propre responsabilité " poursuit l'avocat de la FNDIRP qui, durant trois heures, expose un plan rigoureux pour démontrer les éléments matériels et moraux de la complicité de Maurice Papon dans l'arrestation, la séquestration et l'assassinat de 1560 juifs bordelais.
Me Lévy fonde la complicité d'arrestations illégales sur les instructions que Maurice Papon donnait aux policiers et aux gendarmes, et surtout l'utilisation du fichier et des listes du service des questions juives : " L'arme du crime ". Pour Me Lévy, le fichier de la préfecture, crée avec le recensement des juifs en octobre 1940 et régulièrement mis à jour est " l'outil pivot de l'arrestation de tous les juifs ", même lorsque les listes d'arrestation ont été fournies par la SEC ou les Allemands " puisque ces listes étaient établies à partir du fichier de la préfecture qui détenait un pouvoir de vie ou de mort ".
Il base ensuite la complicité des séquestrations illégales sur la " tutelle " exercée par Maurice Papon sur le camp de Mérignac, ce " vivier des déportations " où l'internement " scellait le sort des déportés " : " La mort était donnée à Auschwitz mais la vie cessait à Mérignac. Maurice Papon savait que les personnes internées à Mérignac seraient déportées du seul fait qu'elles étaient juives, y compris lorsqu'il était absent, comme en septembre 1942 ".
Il appuie enfin la complicité d'assassinat sur un acte matériel : " La participation au choix des personnes à déporter et l'organisation des convois ", et un élément moral : " Dès juillet 42, Maurice Papon savait que les arrestations, les séquestrations et les déportations condamnaient les juifs à la mort, même s'il ignorait les conditions de leurs souffrances et les moyens utilisés pour leur donner la mort ".

"Maillon essentiel"

Me Levy conteste ainsi à Maurice Papon le droit de se prévaloir d'une quelconque contrainte, que ce soit l'obéissance à un ordre supérieur " qui plus est lorsqu'il émane d'une autorité illégale ", ou une contrainte allemande ou de Vichy : " Il a fait le choix d'appartenir à Vichy au moment clef de la répression anti juive ".
" Maurice Papon n'est pas en guerre contre les Allemands, mais contre les Juifs " ajoute Me Levy, évoquant " le zèle et la compétence " de celui qu'il traite de " menteur et de lâche ".
" C'est vous le menteur, c'est vous le lâche " explose de nouveau Maurice Papon. Le président l'interrompt sèchement : " Si vous troublez cette audience, je vous ferai expulser. Vous aurez tout le temps de vous exprimer plus tard ".
Me Levy conclut : " Maurice Papon a été un rouage et un maillon essentiels de la persécution des Juifs. Il a été à la fois dirigeant, organisateur, provocateur et complice du crime contre l'humanité. Depuis 55 ans, c'est un criminel, un imposteur, sans âme ni conscience. le mémoire des victimes impose un verdict de dureté, il n'est pas moins coupable et moins responsable que Klaus Barbie ". " Quel menteur " lâche encore Maurice Papon.
En début d'après-midi, il revient à Me Michel Zaoui " la lourde tâche de clore les voix des parties civiles ". En préambule, l'avocat de plusieurs associations de déportés juifs balaye les préventions que les jurés pourraient encore avoir face à " la notion de temps " : " L'accusé est le même homme qu'il y a 55 ans, le temps a permis à la France de reconnaître sa responsabilité dans la déportation des Juifs et d'accéder à la mémoire, et si ces crimes ont été sous-ignorés par ses contemporains, si les victimes n'ont pas été crues, elles ne doivent pas être victimes une seconde fois ".

"Crime administratif"

Puis Me Zaoui en vient au crime contre l'humanité qu'il oppose en une démonstration aussi juridique qu'intellectuelle, au crime de droit commun : " C'est un crime comme la communauté des hommes, un crime d'Etat commis par un Etat au nom d'un Etat qui est devenu une puissance criminelle en inversant les règles fondamentales. C'est un crime collectif, un crime unique qui se décompose en une infinie d'actes criminels, indissociables les uns des autres par la mise en oeuvre de tout un réseau qui devient une chaîne de mort où tous les maillons sont d'égale responsabilité. Maurice Papon a participé à cette chaîne de mort ". Il emprunte à Edgar Faure, procureur français au tribunal de Nuremberg, la définition du crime contre l'humanité : " Une philosophie criminelle, ayant une bureaucratie criminelle ".
" Le volet français de la complicité du crime contre l'humanité, c'est le crime administratif, le crime de bureau, un circuit continue de l'autorité qui entraîne un circuit continu de la responsabilité " poursuit Me Zaoui qui rappelle " l'osmose " avec le préfet régional Maurice Sabatier et insiste surtout sur la notion de " fonctionnaire d'autorité ", par opposition au fonctionnaire d'exécution.
Me Zaoui est non seulement persuadé que Maurice Papon avait connaissance du sort des Juifs, mais également qu'il a " adhéré au plan d'action concerté contre les Juifs " dès juillet 1942 lorsque, de retour de la conférence des préfets à Paris, Maurice Sabatier l'a informé de la volonté des nazis de déporter 10 000 Juifs.
L'avocat qui ne fait pas non plus de différence avec Barbie, Touvier, Bousquet ou Sabatier, des " fonctionnaires d'autorité ", demande aux jurés de condamner " globalement " Maurice Papon : " les victimes ne doivent pas continuer à vivre dans le silence et l'oubli ".
Le procès reprend mercredi à 9 h 30 avec le réquisitoire du parquet général.


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