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Michel Cohen, le fils du grand rabbin Cohen était le témoin du jour. (Crédit A.F.P.)

Au nom du père - 02/02/1998

Après la déposition de Michel Cohen, Maurice Papon a reconnu que la préfecture n'avait pas sauvé le grand Rabbin Joseph Cohen

Compte rendu d'audience Bernadette DUBOURG

Lundi 2 février. Cinquante neuvième journée d'audience. Tout le monde, dans la salle d'audience, a les yeux braqués sur Me Arno Klarsfeld. Aucun confrère ne salue " l'avocat-militant " qui s'assoit au dernier rang des parties civiles. Lorsque le président monte avec la cour, chacun cherche sur son visage les traces de l'émotion ressentie depuis mercredi, après l'annonce d'un lien de parenté avec des victimes du convoi de décembre 1943. Mais, comme à son habitude, Jean-Louis Castagnède ne laisse rien paraître.
Les débats reprennent d'ailleurs comme si de rien n'était. Personne ne fait allusion à rien et le président appelle tout de suite à la barre le premier témoin, Michel Cohen, 74 ans, conseiller technique en bâtiment installé à Genève. Le fils du grand rabbin Joseph Cohen raconte d'abord comment son père s'est enfui, le vendredi 17 décembre 1943, alors que les SS venaient l'arrêter à son domicile près de la synagogue de Bordeaux. Le grand Rabbin a trouvé refuge dans l'appartement de fonction du directeur de l'hôpital Saint André où sa femme était hospitalisée, puis le lendemain chez des amis avant de passer en zone libre grâce notamment à de faux papiers que son fils Michel, enrôlé dans la résistance à Lyon et revenu par le plus grand des hasards à Bordeaux le 18 décembre 1943, a procurés à ses parents.

" Le bien pour le mal "

Mme Nicole Chailloux avait 13 ans lorsque ses parents, M. et Mme Favre, ont accueilli Mme Cohen à Caudéran et l'ont fait passer en zone libre sous le nom de sa tante. Elle se souvient également que son père, entrepreneur, " a fait passer le grand rabbin dans sa camionnette de chantier. Le grand Rabbin avait rasé sa barbe, il ne ressemblait plus au patriarche ". La mère de Michel Cohen n'est jamais revenue à Bordeaux. Elle est morte l'année suivante d'une crise cardiaque dans le train qui la conduisait à Lyon où l'attendait le Grand Rabbin.
Michel Cohen dément ainsi avec force que son père ait été aidé d'une quelconque manière par la préfecture de Bordeaux ou encore, qu'il ait été caché à l'archevêché par Mgr Feltin jusqu'à la fin de la guerre comme la légende, et Maurice Papon lui-même, l'ont longtemps laissé croire.
" C'est ce que j'ai vécu, se défend Maurice Papon. J'ai été alerté par Dubarry qui avait appris les menaces des Allemands sur le Grand Rabbin. J'en ai rendu compte à mon tour à Maurice Sabatier qui m'a dit : " Je m'en occupe, je vais voir avec Mgr Feltin ". Point, à la ligne. J'en suis resté là ". Maurice Papon reconnaît cependant, sans le dire, qu'il s'est trompé : " Je n'ai aucune raison de soupçonner et suspecter la déposition de Michel Cohen. La thèse qu'il a développé est sans doute vraie. C'est un homme d'honneur et de bonne foi ". " C'est la force de l'oralité des débats et la rencontre avec les témoins " souligne le président Castagnède.
Me Caroline Daigueperse demande alors à Michel Cohen pourquoi son père n'a jamais parlé de la préfecture ou de Maurice Papon. le fils du Grand Rabbin cherche ses mots : " Mon père était un homme de religion. Il écoutait, il essayait de consoler, de réconforter, jamais il ne jugeait les gens, encore moins ses ennemis. Il voulait croire en la fraternité, rendait le bien pour le mal. Il était resté à Bordeaux pour aider les plus pauvres et les plus démunis de la communauté qui n'avaient pu partir comme les autres ". Il évoque de la même manière les relations de son père avec le maire de Bordeaux, Adrien Marquet, un " ami de 15 ans qui ne lui a jamais fermé sa porte ".
Michel Cohen rappelle cependant qu'à la préfecture, on était passé du : " M.le Grand Rabbin, que puis-je faire pour vous ", à : " Cher Cohen, qu'est-ce que vous voulez ? ".
Michel Cohen veut également démentir avec force que son père ait pu livrer aux Allemands quatre enfants juifs qu'il avait sauvés après l'arrestation de leurs parents : " Quand il a senti le danger, il les a remis à Mme Guillot et a demandé qu'on les mette en lieu sûr ".
Annie Gast, 67 ans, professeur en retraite, toute de noir vêtue, est l'un des quatre enfants sauvés par le grand Rabbin. Elle avait 11 ans, lorsqu'elle a été arrêtée avec ses parents, son frère jumeau et sa soeur de 13 ans, le 15 juillet 1942 à 8 heures du soir à Bordeaux. Dans la nuit, les enfants ont été séparés de leurs parents " dans les hurlements " : " Longtemps, je n'ai pu raconter ce moment, je ne pouvais même pas en parler avec mon frère et ma soeur ".
Annie, son frère et sa soeur ont été confiés à une amie de la famille, et son cousin de 10 ans, au grand rabbin. Les deux garçons sont ensuite restés un an au lycée Montaigne à Bordeaux, et les deux soeurs chez un oncle à Cenon, puis l'année suivante, Mme Guillot les a tous les quatre cachés dans des fermes en Lot et Garonne. Maurice Papon a déjà été longuement été interrogé sur le rôle de la préfecture dans la décision de ramener les enfants, déportés dans le convoi d'août 1942. Il répète : " J'ai décroché de cette opération, je ne m'en suis pas occupé, je suis incapable de dire ce que sont devenus les enfants ". " Est-ce que le rabbin est intervenu ? " questionne Me Jakubowicz. " Mais non, pas plus que la préfecture " s'énerve l'ancien secrétaire général.
En fin d'audience, la cour revient à la rafle et au convoi de décembre 1943, examinés la semaine dernière, avec le témoignage de Mme Marie-Madeleine Pinhas, 84 ans, dont le mari et les beaux-parents ont été arrêtés le 20 décembre 1943 à 6 heures du matin " par un Français et un Allemand ", et déportés le 30 décembre 1943. " Comme il n'y avait plus de place dans la traction, ils ont dit qu'ils reviendraient à 8 heures. Lorsqu'ils sont revenus, j'étais partie avec mon fils de 17 mois. Je m'étais échappée " raconte cette dame. Me Michel Touzet lit la dernière lettre de David Pinhas qui décrit les conditions déplorables de la vie au camp de Mérignac. " Je n'en avais pas la charge " répète Maurice Papon qui convient toutefois : " On en parlait dans les conférences ".
Mardi, la cour doit entendre le grand rabbin de France Joseph Sitruk.
PS : A la lecture de ce texte, le 16 mars 2004, Gilles Colin, petit-fils du Grand rabbin Joseph Cohen et fils de Michel Cohen qui avait témoigné au procès, tient à préciser que les propos rapportés par son père à l'audience étaient (alinéa 7) : "Sieur Cohen, qu'est-ce que vous voulez", et non "cher Cohen..." comme écrit le jour du procès.


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