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Me Varaut à quelques minutes du début de la plaidoirie la plus longue de l'histoire judiciaire (Crédit Philippe Taris)

"Acquitter Maurice Papon n'est pas acquitter Vichy" - 24/03/1998

Au premier jour de sa plaidoirie, hier, Me Jean-Marc Varaut s'est attaché à démontrer qu'il n'y avait aucun plan concerté franco-allemand pour l'extermination des Juifs. Aujourd'hui, il aborde le rôle de Maurice Papon

Compte-rendu d'audience de Bernadette DUBOURG

Mardi 24 mars. Quatre-vingt dixième journée d'audience. « Peuple français, c'est à toi que je m'adresse en m'adressant à ceux qui vont juger en ton nom ». La voix grave et le ton solennel, Me Jean-Marc Varaut répète à deux fois cette incantation aux jurés, les regardant les uns après les autres.
Après le bâtonnier Rouxel et Me Vuillemin, lundi, Me Varaut poursuit -durant trois jours- la défense de Maurice Papon. Au début de son intervention, il s'adresse longuement aux jurés qui vont rendre « un jugement sans appel et sans motivations », pour les remercier de leur attention depuis cinq mois et demi d'audience « sans jamais manifester l'expression de vos révoltes ou de vos apitoiements », et pour leur assurer surtout qu'ils pourront « sans remords, acquitter Maurice Papon qui ne saurait être le bouc émissaire de Vichy. Car acquitter Maurice Papon, ce n'est pas acquitter Vichy dont la condamnation ne peut plus être niée ou discutée ».
Il leur indique déjà : « Nul n'est pénalement responsable que de ses actes personnels. Et pour le crime contre l'humanité, nul n'est pénalement responsable qu'à la double condition d'être complice personnellement et sans contrainte des arrestations, séquestrations et assassinats, et -je ne cesserai de le répéter jusqu'au dernier moment- d'avoir eu comme mobile, de participer comme complice à Bordeaux au plan nazi de destruction des juifs d'Europe, ce que l'on appellera plus tard le plan concerté ou la solution finale ».

« Des faits connus »

Pour l'heure, Me Varaut aborde le contexte juridique, procédural et historique du procès. Il s'y attelle patiemment, longuement et sans emportement, en se fixant deux « consignes » : « Dire la vérité d'un homme et de son temps, pas l'opportunité, ce qui plait et se répète, votre sympathie ou votre répulsion, mais l'évident, ce qui se voit », et faire appel à la « conscience d'homme libre des jurés » : « Je vais vous convaincre car vous êtes sans cruauté et sans haine ».
Pour Me Varaut, le procès de Maurice Papon n'a pas commencé en 1981 avec les premières plaintes, mais en 1941 « avec la défaite de la France ». Il regarde Maurice Papon : « Il n'y a plus d'élus, il n'y a plus que l'administration, légataire universel du bien commun, la permanence de la République sous l'Occupation, jamais l'auxiliaire conciliante du crime ». Il précise à cet instant de ses explications que « l'antisémitisme de Vichy, conjointement à un anti-judaisme chrétien, est une exclusion sociale et politique, mais pas un racisme hitlérien. Vichy va, sans l'avoir voulu, faciliter la tâche de la déportation des Juifs, mais il n'y a pas de relation de cause à effet entre la politique d'exclusion et la déportation ».
Il en revient au procès de Maurice Papon pour assurer aussi qu'il est « le dernier procès de l'épuration » et affirmer que les déportations raciales « ne furent jamais ni occultées, ni oubliées » en France comme à Bordeaux. Il rappelle ainsi que « la politique anti-juive » de Vichy a été examinée aux procès de Pétain et des autres dignitaires du régime, mais également à Bordeaux entre 1947 et 1952, aux procès du KDS, du « collaborationniste antisémite » Lucien Dehan et même après la plainte de Michel Slitinsky contre les policiers qui avaient arrêté sa famille : « On savait ce que chacun avait fait, les témoins étaient vivants, la communauté juive était revenue, mais il n'est jamais venu à l'idée de personne d'incriminer Maurice Papon parce que son attitude, son patriotisme et son humanité étaient hors de cause ». « Est-ce que de Gaulle aurait protégé un collaborationniste ? C'est injurieux et saugrenu » ponctue-t-il.
Me Varaut s'interroge alors sur « le sens de l'imprescriptibilité » : « Il interdit moralement les poursuites sur des faits dont on avait la connaissance et la preuve il y a 50 ans. Comment poursuivre aussi celui qui n'est pas détachable de sa fonction. Si on poursuit un homme seul, pour ses actes personnels, encore faut-il que l'auteur principal soit déterminé. On dit que c'est Vichy, mais Vichy n'a jamais été déclaré comme une organisation criminelle ».
L'avocat de Maurice Papon retrace ensuite les principales étape de la procédure où, en 15 ans, « on a ajouté aux délais délibérés, des délais volontaires ». Il égratigne ainsi les parties civiles : « Lorsque Bousquet a été assassiné, Me Boulanger a assuré que si le procès de Maurice Papon était nécessaire, il était désormais indispensable, il en faisait un crime d'appartenance », mais aussi le parquet général : « Un jour, la petite histoire judiciaire nous permettra de connaitre les différentes versions et les notes du réquisitoire définitif qui ne retenait que quatre convois et excluait la complicité d'assassinat ». Me Varaut s'attarde surtout sur la sentence du jury d'honneur et les conclusions de l'expertise historique, annulée par la cour de cassation, pour assurer : « Tous désignent Maurice Sabatier comme le véritable patron. Maurice Papon n'était qu'une courroie de transmission, agissant sous la contrainte totale ».
« S'il y avait eu un tribunal pénal international, demande-t-il aux jurés, croyez-vous que pour établir la complicité de l'Etat français, on serait allé chercher au bout de l'Europe le secrétaire général de la préfecture de Bordeaux comme symbole à lui seul de l'administration française ? »
En fin d'audience, Me Varaut aborde le dernier volet de ses explications du jour : L'engagement de Vichy dans la collaboration. Il base sa démonstration sur le seul livre de Serge Klarsfeld « Vichy-Auschwitz ». Il rappelle ainsi que la solution finale a probablement été décidée « dans la banlieue de Berlin, le 20 janvier 1942 », insiste sur le souci de souveraineté de Vichy « de conserver une armée et une police » que les Allemands « vont exploiter » pour contraindre la France à déporter « des Juifs à l'est », puis évoque les négociations entre les SS et René Bousquet qui « accepte d'abandonner les réfugiés juifs pour sauver les nationaux : « Sans rien excuser des honteuses démissions du gouvernement français, je constate qu'il n'y a aucun plan concerté entre la France et l'Allemagne d'exterminer leurs ennemis communs ».
Or, pour Me Varaut, le crime contre l'humanité ne peut être qualifié « que si le complice apporte son aide librement et sans contrainte à une action qui s'inscrit dans un plan concerté ».
Aujourd'hui, il poursuit la défense de Maurice Papon en étudiant, convoi par convoi, les actes du secrétaire général de la préfecture de Bordeaux.
L'audience reprend à 14 heures.


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