Les familles des victimes face au verdict.
Annie LARRANETA
" Maintenant, je vais mettre les bouchées doubles dans ce travail pédagogique que nous avons d'ailleurs tous commencé ". jeudi matin, juste après le verdict, Jackie Alisvaks (frère d'Eliane Dommange) dont les parents ont été arrêtés le 15 juillet 1942, annonçait ainsi que l'affaire n'était pas close pour autant et que les familles des victimes allaient se servir de ce procès pour diffuser enfin cette nouvelle page d'histoire.
" Je suis bien content même si c'est une peine de principe et non une peine de sanction. Les jurés ont sans doute considéré comme circonstances atténuantes le fait qu'il se retrouve seul survivant dans le box des accusés. Il aurait fallu une condamnation exemplaire mais, en fait, à son âge, ça ne change pas grand chose, c'est le fond qui compte. En tout cas, je tire un grand coup de chapeau à l'avocat général qui a laissé la porte ouverte à la perpétuité ou à une punition intermédiaire. "
Une peine qui ne satisfait pas pleinement Esther Fogiel qui, sans cacher son soulagement d'avoir évité un acquittement, disait sa " frustration devant l'abandon de la complicité d'assassinat. Je pense à tous ces enfants qui sont partis, comment ne pas s'y arrêter ? Ce sont les Klarsfeld qui sont responsables, ils ont eu une influence très négative sur ce procès et l'association des Fils et Filles de déportés juifs de France a répandu un mauvais esprit... "
Me Gérard Boulanger évoquait, lui aussi, " une malfaisance qui a cassé l'unité des parties civiles en réclamant des choses qui n'étaient pas en relation avec le dossier. Et les Klarsfeld ont même failli casser le procès avec leur déclaration du 28 janvier. " L'avocat qui défendait plusieurs familles de victimes, faisait allusion à l'annonce d'un lien de parenté du président Jean-Louis Castagnède avec Esterina Benaïm, déportée en décembre 1943. " On ne peut pas être complètement satisfait car on a oublié l'assassinat mais ça c'est le résultat du charcutage, du saucissonage du ministère public qui a laissé tout reposer sur 72 victimes seulement. "
Après toute une nuit d'attente, Me Caroline Daigueperse (Association cultuelle israélite de la Gironde) disait tout à la fois sa déception devant la complicité d'assassinat et cette " victoire de la mémoire. Pour les parties civiles on peut enfin parler d'hommage à tous ceux qui ont disparu. Cette condamnation c'est un immense bonheur, c'est comme une perpétuité pour crime contre l'humanité. Mais que l'assassinat ne soit pas retenu ça restera le gros chagrin de ce procès. "
" Un verdict mitigé, comme le résumait Me Bertrand Favreau (Ligue des droits de l'homme). C'est la décision intermédiaire du peuple français, c'est un compromis. On a fait un pas en avant mais je regrette qu'il n'y ait pas eu reconnaissance de la participation de l'administration française, à travers un de ses membres, à l'assassinat perpétré par Vichy. ". Me Michel Tubiana, lui aussi au nom de la LDH, insistait sur " la reconnaissance d'un haut fonctionnaire, d'un ancien ministre de la République. On reconnaît sa responsabilité. Là on lui a dit " non, ouvrir le parapluie, ce n'est pas possible !"
Pour Me Raymond Blet (Association nationale des anciens combattants de la Résistance) " on n'est pas allé jusqu'à la connaissance que Vichy avait du sort évident des déportés raciaux. Ce verdict va dans le sens des historiens pour qui l'exclusion ne va pas jusqu'à l'extermination et pourtant elle est une partie intégrante, un chaînon du crime contre l'humanité. L'exclusion fait partie du plan concerté. "
Me Michel Zaoui (Association indépendante nationale des anciens déportés juifs et leurs familles) qui avait mis en garde les jurés sur l'étude convoi par convoi, n'a pas été entendu. Il a dit son regret devant " la ventilation des convois... Cette notion de service criminel des questions juives n'a pas été comprise et on peut se demander pour quelles raisons. Sans doute faut-il y voir l'incohérence du ministère public qui s'est montré frileux, qui a poursuivi du bout des lèvres et ça, ç'a a perturbé les jurés qui se sont plus référés au réquisitoire de 95 qu'à l'arrêt de la Chambre d'accusation. Même si je ne peux pas m'en satisfaire, l'Histoire retiendra qu'un haut fonctionnaire de Vichy a été condamné. "
" C'est un verdict important mais qui n'est pas logique car il ne va pas jusqu'à la complicité d'assassinat pour des enfants de deux mois ou des vieillards comme ma grand-mère de 86 ans qui ont pu mourir dans les wagons à bestiaux ". Il ne peut donc pas satisfaire vraiment Maurice-David Matisson qui a perdu huit des siens à Auschwitz. " Notre combat continue donc pour faire entendre notre vérité... La pédagogie à retenir c'est la conscience que doit garder tout fonctionnaire et c'est un avertissement pour les apprentis sorciers qui s'aventureraient sur cette même voie. Qu'ils sachent qu'ils seront rattrapés et poursuivis. En tout cas, nous nous sentons aujourd'hui restitués dans la nation et pas parce que, comme la plupart d'entre nous, nous étions résistants. C'est la Résistance toute entière qui en sort épurée. On ne peut plus confondre Papon avec un vrai résistant. C'est la fin de 50 ans de supercherie ! "
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