Arno le franc-tireur - 02/02/1998

Tout le monde s'interroge sur les raisons qui animent Serge Klarsfeld et son fils Arno dans leur combat contre le président des assises, Jean-Louis Castagnède

Bernadette DUBOURG

Les " révélations " de Me Arno Klarsfeld, mercredi dernier, sur un lien de parenté entre le président de la cour d'assises, Jean-Louis Castagnède, et des victimes du convoi de décembre 1943, qui était cette semaine au centre des débats, ainsi que les conséquences qu'elles auront sur la suite du procès ne sont pas un incident isolé.
Depuis le début du procès, le 8 octobre dernier, Me Klarsfeld joue sa propre partition, se désolidarisant souvent des autres avocats des parties civiles, à des fins que les observateurs ont encore du mal à cerner.
Déjà, au troisième jour du procès, après la décision de la cour d'assises de remettre Maurice Papon en liberté, le jeune avocat de l'association des Fils et Filles des déportés juifs de France, que préside son père, Serge Klarsfeld, a vivement claqué la porte de la salle d'audience, en déclarant : " Je me retire d'une salle où le procès n'a plus de sens. "

Des écarts

Le jour suivant, il est revenu s'asseoir sur les bancs des parties civiles comme si de rien n'était, justifiant son retour par la " décision du parquet général de former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour ". Cette volte-face avait déjà été diversement appréciée et commentée par ses confrères, décidés malgré tout à jouer la carte de la solidarité dans le seul intérêt des quarante parties civiles, souvent assises aux premiers rangs de la salle d'audience, témoignant les unes après les autres de cinquante-cinq années de souffrance et de douleur.
Au début de l'examen des faits, alors que le président avait refusé de projeter, sur les trois écrans géants de la salle d'audience, la photo des parents de Georges Gheldmann, au motif que ce dernier n'était pas constitué partie civile et s'exprimait simplement comme témoin, Me Arno Klarsfeld avait lancé au visage de Jean-Louis Castagnède : " Pour vous aussi, Monsieur le Président, il y a des juifs intéressants et d'autres qui ne le sont pas. "
Le président avait encaissé l'insulte, mais, le lendemain, à la reprise des débats, le bâtonnier de Bordeaux était dans la salle d'audience, prêt à saisir son confrère parisien de cet incident. Me Klarsfeld, jouant sur les mots, n'avait point présenté ses excuses, mais " regretté " que ses propos aient pu blesser le président. Une nouvelle fois, Jean-Louis Castagnède avait accepté de passer l'éponge, non sans ajouter : " Il s'agit de paroles outrageusement inacceptables. Vos regrets viennent à point. Je ne sais pas si je saurai toujours prendre sur moi. "
Tout au long des débats, le jeune avocat a souvent provoqué le président, prenant la parole lorsqu'il ne la lui donnait pas ou multipliant les commentaires. Mais comme, d'autre part, ses interventions étaient parfois pertinentes et fort bien venues, ses démonstrations, inattendues, et ses productions de pièces, judicieuses, le président a souvent tenté d'apaiser certains écarts de langage ou de comportement. Les rollers, avec lesquels Arno Klarsfeld se déplace à Bordeaux comme à Paris, dépassant de son sac à dos négligemment jeté à ses pieds ne provoquent guère plus que des sourires.

Le dernier combat

Cette semaine, son " attitude irresponsable, infantile et inadmissible ", selon Me Zaoui, a fini de marginaliser Arno Klarsfeld aux yeux mêmes de ses confrères parties civiles. Ils reprochent depuis longtemps à cet " avocat-militant " toute absence de concertation et de coopération. Franc roller, mais surtout franc-tireur
Il leur répond dans un sourire un brin provocateur : " On ne peut pas me reprocher d'avoir dit la vérité. Si j'ai appris ce lien de parenté entre le président et des victimes, Me Varaut aurait pu l'apprendre et l'utiliser pour un pourvoi en cassation. Il y avait danger. " Son " isolement " ne l'ennuie apparemment pas : " J'y suis habitué. Je suis toujours seul, ils sont toujours contre moi. "
Arno Klarsfeld n'est pas vraiment seul. Son père, même absent du procès, est extrêmement présent dans les débats. N'est-ce pas lui qui, après la remise en liberté de Maurice Papon, a dit : " Aujourd'hui, nous déclarons la guerre à M. Castagnède. " Ce sont encore les membres de son association qui, régulièrement, ont manifesté devant les grilles du palais de justice de Bordeaux, un insigne jaune collé sur la poitrine et brandissant des photos d'enfants juifs déportés. Beate et Serge Klarsfeld étaient souvent à leurs côtés.
Depuis mercredi, Serge Klarsfeld est omniprésent, et même plus virulent que son fils, devant micros, stylos et caméras, pour réclamer la récusation du président Castagnède.
Depuis mercredi, tout le monde se demande quelle est le " but de cette manoeuvre " dont la subtilité déroute et qui, en apparence, a conduit ses auteurs à jouer contre leur propre camp. Soupçonner tout haut le président des assises de pouvoir favoriser les parties civiles ne revient-il pas à induire que le président servirait plutôt les intérêts de Maurice Papon ? Serge Klarsfeld accuse catégoriquement le président de vouloir l'acquittement de Maurice Papon. Comprenne qui pourra.
En attendant, non seulement les parties civiles témoignent de l'impartialité du président, mais on rappelle aussi Me Varaut ne s'en est pas privé à l'audience que Serge Klarsfeld n'a jamais été un farouche partisan de la comparution de Maurice Papon devant les assises. Du coup, Me Varaut, confirmant qu'il ne demandera pas la récusation du président, n'hésite pas à parler de " coup de billard judiciaire " et de pression pour obtenir la condamnation de Maurice Papon.
Le coup médiatique, en tout cas, a réussi. Il reste peut-être à se demander, comme le font certains de leurs détracteurs, si la volonté de Serge et Arno Klarsfeld n'était pas de " marquer un grand coup " dans cette instance, dernier procès français pour " crimes contre l'humanité ", avant que prenne définitivement fin le combat de leur vie.


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